Ah. J'suis dans la m*rde. [Chef.]

Je lève la tête. Pas de soleil. Le ciel est d'encre et de lumière. Je suis devant la Pouponnière. Pas un bruit. Le vent dans le manteau des arbres. Un grillon solitaire. Et rien. Même mes camarades ont arrêter de miauler. Une impression de solitude m’oppresse vivement. La solitude. Je l'accueille à bras ouverts. La vie de Clan me rendra dingue, c'est une certitude. Mais ne le suis-je pas déjà ? Sourire. J'en ai besoin, je dois partir. Bientôt. J'en suis certaine. Mais en attendant, j'ai le droit aux mêmes règles que les chatons normaux. Couvre-feu. Interdiction de sortie. Qu'espèrent-ils, en nous enfermant pendant six lunes dans un endroit clôt et surchauffé ? Nous conditionner ? Si tel est le cas, l'opération n'a pas eu lieu chez moi. Et j'espère qu'elle ne surviendra jamais. Une brise fraiche me caresse la tête. J'ai plus que jamais envie de sortir du Clan, pour aller me promener. Je pose mon regard sur la voûte céleste. Les étoiles scintillent avec chaleur, sont toutes proches. Je me demande à quoi elle correspondent. Je me décide. Il me faut de l'air. Plus que je n'en ai déjà. Retrouver un véritable isolement. Ne serait-ce que pour obtenir un semblant de liberté. Contractant mes muscles, je me lève, et m'élance vers les Terres Libres. Personne ne me dérangera, sitôt arrivée là-bas. La brise devient vent, à mesure que je gagne en vitesse. J'aime courir. L'ivresse que me procure cette activité est effarante. Le vent dans mes moustaches. La vive plainte des mes membres lorsque la course devient torture. Et mes montées d'adrénaline. Toujours plus vite, encore et encore. Même si mes poumons hurlent de douleur à mesure que je refuse de les utiliser. Le jeu n'en est que plus palpitant. Je continue ainsi pendant plusieurs minutes. Je n'ai pas besoin de m'arrêter, pour reprendre mon souffle. Je suis habituée. Les odeurs de mon Clan s'estompent. Je m'éloigne de notre territoire. Je m'autorise à ralentir. Puis, je m'arrête complètement. Mon regard fait brièvement la navette autour de moi. Je suis dans un champs de fleurs au subtil parfum printanier. Les pétales sont sombres. Je ne connais pas leur nom. Soupir. Enfin, je suis seule. C'est un véritable soulagement. Ces sensations sont toujours aussi fortes. Celle de liberté, plus particulièrement. Je ne m'en lasserai jamais. J'en suis sûre. C'est une drogue.

Je m'allonge de tout mon long dans ces fleurs pourpres à l'odeur douceâtre. Quelques nuages voilent le ciel , mais pas suffisament pour masquer la Lune. Il fait tiède. Pas chaud, ni frais, mais tiède. Et c'est étrangement agréable. Les herbes folles me chatouillent le dos. J'ai un gros coup de barre. Malgré mon amour pour les courses effrénées, celles-ci me fatiguent physiquement plus qu'autre chose. Je m'estime heureuse. C'est toujours mieux que la fatigue psychique. Je reporte mon attention sur la voûte stellaire. Les nuages avancent de plus en plus vite. Pourtant, il n'y a pas le moindre souffle de vent. Je finis par fermer les yeux, épuisée. J'ai deux lunes, il me semble. Et la capacité à résister au sommeil des chatons normaux.

Je suis perchée dans l'arbre. L'oiseau ne me voit pas. Pas encore. Je me tapis avec délicatesse sur ma branche, impatiente de voir ce qu'il en sera. Le volatile s'attaque a une petite feuille, sûrement parfaite pour l'élaboration de son foyer. Je croise son regard stupide, et souris quand il dérape et vient se poser vers une nouvelle feuille, bien plus près de moi. Je bande mes muscles, prête à l'assaut. Plus que quelques centimètres... Je bondis. Cri apeuré. Le sang gicle sur le feuillage argent du saule sur lequel je me trouve. L'oiseau se convulsionne, de plus en plus faiblement, jusqu'à ne plus bouger du tout. Sourire. Le goût du sang est divin, c'est le mot. Comparé au lait crémeux que l'on me force à avaler chaque jour.

- Puis-je savoir ce que tu fais ici ?

J'ouvre les yeux. Je suis allongée dans le champs de fleurs. Une ombre à la carrure menaçante se tient devant moi. Je me dresse dans un saut désarticulé, le pelage gonflé et le dos arqué. Je dévisage le nouveau venu avec de grands yeux. Mon coeur se calme à mesure que je l'identifie. C'est mon Chef. Je toussote innocemment. Comment expliquer ma présence dans en ce lieu ? Son regard est sévère, mais pas seulement. Dangereux. J'ai rarement peur des personnes que je rencontre. Mais je dois avouer que celui-là fait exception à la règle...

- Ohhh, Chef. Ça fait bien longtemps que je ne vous ai pas vu ! Comment ça va, la famille, les amis... ?

Ma voix se brise sur le i. Je pouffe intérieurement, mais j'ai peur. Pathétique. Qu'en aurait pensé la dernière Cheffe que j'avais rencontrée ? Son rire railleur me revient en tête. La colère me monte soudainement au nez. Il m'a réveillée. Et il ne me ramenera pas au Camp si facilement.

- Pas de ça avec moi, jeune fille.

Il lâche ça d'un ton dur et autoritaire. Pff. Encore un masque. Il s'approche de moi avec une rapidité peu commune, et sans me laisser le temps de réagir, m'attrape rudement par la peau du cou. La surprise me laisse pantoise. Depuis quand n'ai-je pas ressentis cette impression de soumission ? Depuis quand ai-je fait comprendre à ma mère que ce geste, même affectueux, lui était interdit avec moi ? La colère enfle. Je hurle, me débat. Je suis trop petite. Trop légère. La haine suinte de chacune de mes pores. Il a réussi par la manière la plus humiliante qui soit à me réduire à l'impuissance. Je tremble de rage. Nouveau hurlement. Mes pattes fendent l'air, toutes griffes dehors. Ce traître continue nonchalamment ce qui me fait l'effet d'une promenade champêtre. Sa lenteur est plus qu'exaspérante. Queue ébouriffée, regard fou, je me tortille comme je peux, une idée en tête. Mais la prise de ses mâchoires autour de ma gorge se raffermit, et je sais que je ne peux plus rien faire, sinon attendre. Définition de l'éternité ? La mienne. Supporter tout ce temps, pendant lequel je ne puis que parler toute seule, tandis que ce félon me garde prisonnière. Ce sentiment d'impuissance. Rwah. Je ravale mes larmes. Ils verront. Ils verront, quand je serai grande. Même apprentie. Quand ? Quand ma maturité et mes connaissances seront-elles assez développées pour que je puisse fuir ? Je dois savoir chasser. Et me battre. Autrement dit, il me faut cet entrainement clanique qui me répugne tant. Je me concentre sur mes préparatifs de fugue. Je sais que les balancements qui me secouant me rendraient folle, si je ne pensais pas. Je ferme les yeux. Plus rien à ronger. A part ma colère. Mais celle-ci est floue, hystérique. Je ne peux pas l'attraper, faute d'identification. J'attend. Mais quoi ? Pour commencer, l'arrivée au Clan. Puis les insultes que je sortirait au Chef lorsque qu'il pourra enfin parler.

J'étouffe. Ma rage a des limites. Qui risquent de disparaître à tout moment. De nouveau, je lâche un piaillement de colère, me tortillant comme un vers pour échapper à l'emprise de mon Chef. Qu'est-il pour mériter ce titre ? Pff. Je l'entend vaguement grogner. Soudain, je me sens tomber. Je vole. Pendant quelques infimes millièmes de secondes. J’atterris souplement sur l'humus. Humide, tiède. Un sentiments de victoire m'assaille involontairement. Je leve fièrement la tête, fusillant Etoile d'Argent de mes yeux jaune vif. Il me dévisage derechef, froid et hautain. Je le déteste de plus en plus.

- Si tu continues, je te cogne.

Il oserait, ce c*n. Rien à battre. Je lui lance le regard le plus méprisant que je peux, laissant libre court à mes sentiments. Rage. Rancoeur. Un besoin de solitude illimité. Et bien d'autres d'autres plus compliqués à définir. Je lutte tellement contre la crise de nerf que je ne me rend pas compte qu'il me porte à nouveau. Je suis prisonnière. Je hurle.

- Lâche-moi !

Je me débat sauvagement. Je n'essaye plus de retenir ma crise d'hystérie. Hurlement. Coups de pattes, toutes grippes sorties. Je me balance du mieux que je peux, sans cesser de jurer. Les insultes fusent. Je ne sais même plus qui je suis. Je dois juste me libérer. Coûte que coûte. On avisera après.